Les statistiques de la Banque de France enregistrent une baisse drastique des dossiers de surendettement déposés par les ménages. Ces derniers ont en effet été divisés par 2 en 10 ans. Comment expliquer ce phénomène ? Les ménages ont-ils moins de problèmes financiers ou sont-ils découragés par la procédure ? Les réformes successives du marché du crédit produisent-elles des effets ou bien cette tendance est-elle liée aux politiques de prévention et d’accompagnement budgétaire ? Et finalement, faut-il se réjouir ou s’inquiéter de cette baisse ? Pour répondre à ces questions, nous avions réuni un panel d’actrices et d’acteurs du surendettement à l’occasion des secondes rencontres de l’inclusion financière le 29 mars. Cet évènement, organisé par Crésus et Emmaüs SOS familles, avait vocation à éclairer cette mystérieuse baisse du recours à la procédure, quand bien même la situation socio-économique des ménages situés au bas de l’échelle en France ne semble pas s’améliorer…

Profils des surendettés et compositions des dossiers

Selon Mark Béguery, directeur des particuliers à la Banque de France, il importe tout d’abord d’observer le profil des déposants et la composition de leurs dossiers. Ont-ils beaucoup évolué au cours du temps ? La réponse est plutôt négative. « Si l’on regarde les dix dernières années, on voit que leur profil n’a pas fondamentalement changé, hormis quelques évolutions limitées : un peu plus de personnes en situation de pauvreté et un peu plus de personnes de plus de 60 ans ». Qu’en est-il des dossiers ? MB poursuit : « La part des dossiers sans crédit a augmenté mais reste très minoritaire. Le nombre moyen de crédits à la consommation par dossier s’est réduit. Et c’est encore plus le cas pour les crédits renouvelables ».  Ainsi, la baisse du recours à la procédure ne s’explique pas par une désaffection massive d’une partie identifiable de la population qui renoncerait à la procédure, qui se détournerait de ce dispositif de gestion collective de dettes. Elle n’est pas non plus liée à une transformation de l’endettement des ménages. Mais comment dès lors expliquer cette baisse, à quoi est-elle dû ? Mark Béguery rappelle l’influence de l’augmentation des effacements de dettes (PRP) ces dernières années, qui ont pour conséquence indirecte la diminution des « re-dépôts ». Il évoque aussi les effets du plus fort encadrement du crédit à la consommation depuis les lois Lagarde. Enfin, selon lui, la baisse du chômage en France n’est pas pour rien dans l’affaire. Deux intervenantes de la table ronde évoquent ensuite d’autres pistes, complémentaires, et directement liée à leurs expériences au plus près des personnes en excès de dettes.

Des hésitations au dépôt de plus en plus nombreuses ?

Pauline Dujardin, chargée de mission chez Crésus, évoque les questions toujours plus fréquentes des présidents d’associations Crésus en région. Ces derniers sont de plus en plus confrontés à des individus qu’ils hésitent à accompagner vers le dépôt de dossier. « Prenons un exemple récent, j’ai un président d’association au bout du fil, il me demande si je lui conseille le dépôt pour un découvert, un compte bloqué à 2000 euros environs. Il ne parvient pas à trouver de solution avec la banque » raconte Pauline Dujardin. On perçoit que les « petits dossiers » – et en particulier ceux ne comportant pas de crédit, ne sont pas spontanément orientés vers le surendettement. Les accompagnateurs ou travailleurs sociaux tentent en effet de recourir à d’autres médiations ou dispositifs – parfois moins avantageux pour les débiteurs, avant de « penser au surendettement ». Or tout porte à croire que ces situations d’endettement problématique sans encours astronomiques augmentent fortement. Delphine Depaix, responsable de la cohésion sociale chez Emmaüs Habitat, un bailleur (très) social renchérit : « Depuis plusieurs années, les impayés de loyers sont en forte augmentation alors que les dépôts de dossiers de surendettement de nos locataires diminuent. C’est paradoxal ». La loi qui encadre la procédure de surendettement ne précise volontairement ni le montant de dettes à partir duquel le dépôt s’imposerait, ni la nature de l’endettement (loyer, crédit, etc) qui rendrait éligible à la procédure. Dès lors, des normes d’accompagnement au dépôt se sont sans doute sédimentées chez les acteurs de l’accompagnement au surendettement, lesquelles expliquent l’encouragement et surtout le découragement au dépôt des dossiers correspondant moins aisément aux habitudes antérieures (dépôts pour les individus présentant des encours élevés et des dettes financières). Dit autrement, les situations budgétaires des ménages les moins fortunés sont de plus en plus fréquemment tendues et déséquilibrées sans correspondre aux normes antérieures de dépôts. Alors que dans nombre de cas, la procédure de surendettement pourrait être appliquée. On peut rappeler aussi que récemment de nouveaux dispositifs et « coups de pouce » permettent ponctuellement à ces ménages de retrouver quelques marges de manœuvres (primes, chèque énergie etc), repoussant ainsi la solution pérenne du dossier de surendettement.

Les auto-entrepreneurs et le surendettement

Il est encore un type de situation évoquée lors de la table ronde : celle des autoentrepreneurs. La France en compte 2,5 millions – ce n’est pas rien. Leurs revenus sont souvent modestes, et leur statut rend moins aisé le recours à la procédure de surendettement. Ces derniers doivent en effet dissoudre leur entreprise avant le dépôt, renonçant ainsi à leurs revenus. Des autoentrepreneurs se présentent souvent découragés chez Crésus, ayant le sentiment d’avoir pris des risques en se lançant dans l’aventure entrepreneuriale, et se retrouvant avec un filet de sécurité en moins. Une réforme est en cours à ce sujet, il importera de suivre la façon dont elle pourra ou non encourager au recours à la procédure en cas de surendettement.

Faut-il se réjouir de la baisse du recours à la procédure de surendettement ?

« Cette baisse tendancielle est une bonne nouvelle. Néanmoins, il faut rester mobilisés, veiller à ce que la procédure reste connue et considérée comme une solution par l’ensemble des ménages auxquelles elle s’adresse » avance Mark Béguery. D’autant que la procédure française est apparue protectrice et avantageuse, comparée aux procédures belges présentées par la dernière intervenante de la table ronde, Caroline Jeanmart, sociologue et directrice de l’observatoire (belge) du crédit et de l’endettement. En France, la procédure est gratuite, uniformément appliquée sur le territoire et aboutit fréquemment à des effacements. Ce qui n’est loin d’être le cas outre-quiévrain. Les nombreuses questions et étonnements de l’auditoire ont donné l’envie de consacrer l’année prochaine une soirée de l’Inclusion financière à une comparaison internationale des modalités de gestion de l’excès de dettes des ménages. D’ici là, une dernière soirée est prévue avant l’été, elle aura lieu le 14 juin et sera consacrée à l’inclusion financière des exilé.es.

 Jeudi 13 mai, le nouveau baromètre du surendettement sera publié. Sans boule de cristal, il est difficile de prédire ce qu’on y trouvera, mais je fais le pari que pour la première fois, une inflexion y sera observée.Après deux années de Covid au cours desquels les dépôts ont été particulièrement peu nombreux, après des mois de forte inflation qui ont contraint davantage les budgets des ménages les moins fortunés, on peut s’attendre à que le surendettement monte sensiblement. A suivre.

Article rédigé par Hélène Ducourant, Enseignante chercheuse en Sociologie à l’Université Gustave Eiffel – LATTS-CNRS – en délégation au Centre Nantais de Sociologie