Les formes de violences économiques domestiques faites aux femmes et le rôle des banques

Les violences conjugales sont de plus en plus mises en avant dans les médias et au sein de l’agenda politique. Cependant, on parle encore peu des violences économiques.

Ce jeudi 19 octobre, nous avons eu l’occasion de discuter de cette thématique lors des rencontres de l’inclusion financière organisées par Crésus et Emmaüs SOS Familles.

 

L’objectif de cette soirée était d’aborder les différentes formes de violences économiques, ainsi que le rôle des banques dans la lutte contre ces violences.

Pour discuter de ce sujet, cinq intervenantes – Françoise Brié, Mouna Aoun, Héloïse Bolle, Paola Vieira et Emilie Biland-Curinier – sont revenues sur le témoignage poignant de Jessica Stephen et ont répondu aux questions de la sociologue Hélène Ducourant.

Quels sont les grands apports de ces échanges ? Je les résume en plusieurs points.

1- 26% des femmes qui appellent le 3919 sont victimes de violences économiques

Selon Françoise Brié, directrice de la Fédération nationale Solidarité Femmes, 26% des femmes qui appellent le numéro d’urgence 3919 sont victimes de violences économiques. Ces chiffres sont à la hausse depuis 2020, ce qui veut dire sans doute que les femmes repèrent plus facilement ces violences et osent en parler. On peut également expliquer cette augmentation avec la période du Covid qui a eu un impact important sur la précarisation des femmes. Ainsi, les victimes de violences, qui connaissaient déjà des situations de précarité, ont vu leur situation se détériorer davantage.

2- Les différentes formes de violences économiques

Durant l’échange, les intervenantes sont revenues sur les différentes formes de violences économiques auxquelles elles sont confrontées. Ainsi, Paola Vieira, créatrice du projet Protection contre les violences économiques conjugales au sein de la BNP Paribas Personal Finances, nous a parlé des maris qui font opposition sur la carte bancaire de leur femme.

Mouna Anoun, Directrice de KissKissBankBank, ancienne responsable des clients fragiles chez la Banque Postale et vice-présidente d’ONU Femmes France, constate quant-à-elle des situations où les femmes se retrouvent avec des dettes de jeux à cause de leur mari.

Cette pratique de l’endettement contraint revient régulièrement. C’était notamment le cas de Jessica Stephen, qui nous a témoigné son expérience. François Brié évoque aussi le contrôle des dépenses ou la confiscation des ressources : de nombreuses femmes se retrouvent contraintes de payer l’intégralité des dépenses du foyer ou se voient verser de l’argent de poche par leur mari, argent bien insuffisant pour couvrir les dépenses du foyer…

D’autres femmes se retrouvent dans l’obligation de verser un loyer à la personne avec qui elles vivent. C’est ce que la conseillère en gestion de patrimoine Héloïse Bolle nomme la « position de l’invité ».

Par ailleurs, les violences économiques ont tendance à s’accentuer lorsqu’il y a une séparation.

3 – Les pensions alimentaires : un moyen de faire perdurer le contrôle

La pension alimentaire, qui contribue à l’entretien des enfants en cas de séparation, est encadrée par le Code civil. Malgré cela, la sociologue Emilie Biland-Curinier nous rappelle que le système de paiement des pensions est inscrit dans des rapports de force et permet de faire perdurer le contrôle économique. Ainsi, il n’est pas rare que certaines femmes aillent jusqu’à renoncer à la pension alimentaire pour « acheter la paix ».

Heureusement, depuis début 2023, un nouveau système permet en partie d’enlever le contrôle que les personnes exerçaient via les pensions. Ce système par intermédiation permet de prélever directement la pension au parent débiteur et de la reverser au parent créancier. Ce dispositif a tout de même un angle mort non négligeable : point négatif. En effet, pour avoir recours à ce dispositif, il faut que la séparation soit formalisée. Or ce n’est pas toujours le cas.

4 – Le rôle des banques

Pour nos intervenantes, les banques ont un rôle à jouer dans la lutte contre les violences économiques. Selon Françoise Brié, les banques pourraient notamment faciliter l’accès aux comptes bancaires et au surendettement pour les femmes victimes.

Mouna Aoun indique que les conseillers de la plateforme l’Appui, créé par La Banque Postale, réoriente les victimes vers des réseaux associatifs pour qu’elles puissent ouvrir des droits ou se former à l’éducation financière. Elle ajoute qu’il est important de former les conseillers pour qu’ils puissent détecter les violences et aider les victimes.

Former et sensibiliser les conseillers bancaires c’est le travail de Paola Vieira et de Jessica Stéphan. Les conseillères et conseillers sont en demande de ses formations pour pouvoir ensuite aider les victimes. Selon Héloise Bolle, il y a aussi un travail à faire pour éviter que les instruments bancaires ne deviennent des armes pour les agresseurs tels que les livrets d’épargne des enfants.

5 – Pas de définition instituée dans le Code pénal

Une des grandes difficultés dans la lutte contre les violences économiques repose sur l’absence de définition et d’intégration au Code pénal. Paola Vieira définit les violences économiques conjugales comme une captation des ressources financières ou un maintien dans la dépendance. Cependant, Françoise Brié met en garde concernant les possibles définitions.

En effet, le risque serait de ne pas définir ces violences assez largement et d’exclure certaines situations.

6- La campagne de prévention EyeMoney

La fédération nationale Solidarité Femmes a créé une campagne de prévention contre les violences économiques en créant une fausse publicité pour une application qui permet aux hommes de contrôler et de vérifier les dépenses réalisées par leur femme. Cette campagne agit comme un véritable plaidoyer pour faire reconnaitre les violences économiques. Un des objectifs est notamment de mobiliser les institutions en vue de faire évoluer la législation.

La fédération a eu de nombreux retours positifs de femmes, elles ont compris qu’elles étaient victimes de violences économiques. Cependant, François Brié nous explique également avoir eu le retour de plusieurs hommes qui demandaient… où trouver l’application !

7 – Et ailleurs ?

Lorsqu’on regarde chez nos voisins européens, la situation est quelque peu différente. En Grande-Bretagne, par exemple, les violences économiques conjugales sont davantage reconnues et ont notamment été intégrées à la législation nationale. Ainsi, elles sont intégrées, tout comme les violences physiques et psychologiques, au Domestic Abuse Act. L’Espagne s’intéresse également à ce sujet à travers une étude nommée EcoVio. Cette dernière a notamment permis de montrer que 80% des femmes victimes de violences conjugales sont aussi victimes de violences économiques.

Ainsi, les banques ont un rôle à jouer dans la détection et l’aide aux victimes de violences économiques conjugales. Cependant, il faut également que les institutions se saisissent du sujet pour qu’une définition de ces violences puisse être inscrite au Code pénal.

Article rédigé par Lucile Fassier